Une langue qui attend les subventions de l’État est une langue en péril

La langue peule tout comme la plupart des langues africaines sont en transition, elles ne sont plus au stade de l’oralité mais pas encore tout à fait au point pour être inscrites aux programmes scolaires ou consacrées langues d’enseignement, de travail et de science. C’est leur cas en Guinée, au Mali et au Sénégal pour ne citer que les pays voisins de la Mauritanie.

En Mauritanie, l’Institut des Langues Nationales de Nouakchott créé en 1981 aux fins de développer le pulaar, le soninké et le wolof a déjà fait une partie du chemin, et l’État a reconnu ces langues dans la constitution du 20 juillet 1991 comme langues nationales. En outre, les médias publics sont ouverts devant toutes les communautés ethnoculturelles nationales qui, par ailleurs, prennent part « pleinement à tous les aspects de la société » sans ingérence ni discrimination quelconque conformément au droit international et aux conventions en matière de respect de la diversité culturelle et des minorités ethniques.

Il est néanmoins vrai que le pulaar, le soninké et le wolof ne sont pas encore élevés au rang de langues officielles en Mauritanie, mais c’est le cas aussi en Guinée, au Mali et au Sénégal et partout en Afrique. Alors pourquoi cette revendication en Mauritanie de manière singulière ?

Aussi, il n’y a pas que le côté officiel, une langue peut bien faire preuve de dynamisme autrement : on peut bien s’exprimer, créer, produire et publier dans une langue même n’étant pas celle de l’administration.

Les Arabes palestiniens, par exemple, même sous occupation israélienne, ont produit une littérature abondante et une poésie militante profuse dont le porte-étendard est Mahmoud Darwich.

Les Turcs aussi avaient dominé les Arabes à l’époque ottomane mais les Arabes avaient fortement influencé les Turcs par la force de leur culture et celle de leur langue. À propos, ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir de Mustafa Kemal Atatürk que l’alphabet arabe fut remplacé en Turquie par l’alphabet latin.

Rétrograder une langue ce n’est pas simple. La colonisation française, malgré un travail de sape énorme, n’avait pas pu détourner la population algérienne de la langue arabe. Et malgré la longue nuit coloniale sur l’ensemble du monde arabe, leur langue résiste toujours et occupe aujourd’hui une place de choix dans le concert linguistique mondial.

Le dynamisme et la création intellectuelles ne se décrètent pas, ils peuvent se produisent sans assistance administrative et étatique, tout spontanément. C’est pourquoi, quand les Maures étaient bédouins leur production intellectuelle littéraire et religieuse n’avait pas décrue. Ils n’avaient pas attendu la naissance de l’État pour cultiver leur langue arabe et publier sur différents sujets, religieux, linguistique et autres. Ces bédouins apprenaient en marchant, à dos de chameaux, sous la tente, sur la dune, partout pour cultiver le savoir. Dans les bibliothèques de leurs villes anciennes Ouadane, Chinguitti, Tichitt et Oualata les manuscrits dorment depuis des siècles comme l’atteste ce correspondant du journal l’Express, il écrit : « Dans de petites maisons en torchis, 6 000 livres sont conservés. Intacts depuis le XIIe siècle, date présumée, mais jamais expertisée. Ils sont la propriété de huit familles. Mohammed Habbott veille sur la collection la plus importante : 1 600 ouvrages conservés dans des armoires en fer avec, pour seule protection, des classeurs en carton. »

Bien sûr, au désert, il y avait des bibliothèques, résultat de l’enracinement à Bilad Chinguitt de l’enseignement originel qui avait précédé l’école coloniale de quelques siècles et avait formé ulémas et poètes en grand nombre. Les Mahdras, les écoles coraniques ou universités du désert avaient incontestablement joué un rôle important dans sa propagation du savoir en Mauritanie et partout dans la sous-région ouest-africaine, leur efficacité n’est plus à démontrer comme en témoignent les deux récits suivants :

Dans les années soixante un correspondant de la revue koweitienne « Alarabi » effectua un séjour de découverte en Mauritanie. Venant du Golfe avant que cette région ne connaisse son essor économique et culturel actuel, il crut que les Chinguittiens étaient eux aussi passablement doués en langue et littérature arabes. Après la fin de sa mission, il rédigea un reportage détaillé sur Bilad Chinguitt et lui attribua le titre de « pays du million de poètes ».

Une deuxième bonne surprise attendait dans les années soixante-dix Mohamed Cherif, le ministre libyen de l’enseignement. Son pays dota la Mauritanie du premier lycée d’enseignement général en langue arabe et envoya avec une délégation de professeurs chargés d’y dispenser des cours y compris en langue arabe. C’était méconnaître les jeunes chinguittiens.

Les élèves mauritaniens, en plus du coran qu’ils récitaient par cœur, avaient une bonne connaissance de la poésie antéislamique et ses Suspendues (Al-Mu allaqât), des poètes classiques Imrou al-Qays, Abou Nouwas, Al-Mutanabbi, des poètes modernes Ahmed Chawqi, Hafedh Ibrahim, Maaruf Arassafi. Ils connaissaient aussi l’Alfiyya d’Ibn Malek (le poème aux mille vers) renfermant toutes les règles de la grammaire arabe, le traité de grammaire de Sibewah intitulé « Alkitab », de quoi impressionner leurs professeurs libyens qui décidèrent de plier bagage et de ne plus revenir en Mauritanie en tout cas pas pour enseigner l’arabe à ses enfants.

Quoiqu’il en soit, crier au racisme ne dispense pas de l’effort intellectuel et scientifique. C’est un mauvais alibi pour masquer tant d’insuffisances. Les Poulo-Toucouleurs doivent absolument se mettre au travail académique pour relever le défi linguistique.

Pour que les milliers de langues de l’Afrique noire connaissent un essor satisfaisant, il faut encore du temps et beaucoup de labeur scientifique, ce qui n’est fait nulle part en Afrique, surtout pas en Mauritanie où ce ne sont que quelques instituteurs politiquement motivés qui s’emploient à codifier le pulaar, le soninké et le wolof et souvent sans moyens conséquents.

A vrai dire, les cadres du Sud ne s’occupent que du français tout en prétendant vouloir assurer la promotion de leurs langues propres.

En ce début du XXIème siècle, les bibliothèques, les librairies et les kiosques sont toujours vides de livres en langues nationales : encyclopédies, dictionnaires, anthologies, romans, recueils de poésie, journaux scientifiques, annales de droit et d’économie, chroniques d’Histoire, manuels didactiques scolaires, bref des références académiques sur tous les sujets de connaissances. Il n’existe pas non plus d’académie pulaar ou soninké ou wolof, ou toutes autres institutions scientifiques de référence en la matière.

Un tel travail et de telles structures sont indispensables avant le passage au statut de langue administrative, d’enseignement et de science.

Presque tous les pays d’Afrique noire avaient compris cette réalité, avaient vu que les efforts à consentir afin de promouvoir leurs langues étaient énormes et demandaient du temps et des moyens humains et matériels. Au lendemain des indépendances, ces États avaient opté pour les langues coloniales. C’est donc une question tranchée depuis longtemps sauf en Mauritanie où les militants négro-ethnicistes pensent encore pouvoir déplacer les montagnes. Avec des langues aux balbutiements de l’écriture, ils veulent aller vite et loin et rivaliser avec les plus grandes langues de la planète : l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe. C’est trop !

 

Extrait de ‘’Mauritanie : vous avez dit vivre ensemble ?’’.

جمعة, 29/01/2021 - 09:10