L'augmentation des salaires annoncée par le Président: stimulant ou frein de la croissance du pays

Le Corona a prouvé que notre économie est fragile et nous savions déjà notre pays surendetté. Nous nous basons de surcroît sur nos voisins pour couvrir la majorité de nosbesoins en légumes et fruits,comme l’a montré la crise d’El Guerguaratt.Dans ces conditions, comment le gouvernement peut-il se permettred’augmenter des salaires au lieu de pousser vers l’austérité? En tout cas, merci de la part des familles de l’Éducation, de la Santé et des retraités de la Fonction publique !Mais ne méritent-ilspas plus ?

De fait et d'un point de vue strictement économique, l'objectif ultime de cette décision est de provoquer une sorte de relance économique, augmentant l'activité susceptible de conduire à une réduction du chômage. D'un point de vue de stratégie politique, elle sert également à embellir la gestion de l’État sous le nouveau régime, par un semblant d’équité dans la redistribution des revenus, conformément à la déclaration de Taahoudati : « je ne laisserai personne au bord de la route ».

Mais retournons en arrière pour comprendre de quoi s’agit-il vraiment. Depuis quelques mois, le cours de la monnaie nationale a subi une baisse volontaire, par le biais d’une politique monétaire expansive. Celle-ci entend baisser ledit cours face aux monnaies étrangères, afin de favoriser les exportations au détriment des importations.Une vision tout droit tirée de la théorie quantitative de la monnaie selon laquelle une relance monétaire expansive se traduit d’abord par une accélération de l’inflation et donc une baisse à court terme du salaire réel, puisque le salaire nominal reste inchangé. Correspondant à une baisse du coût salarial, cette baisse du salaire réel va déclencher une hausse de la demande de travail des employeurs, avec, à la clé, une baisse du chômage.

Pour un pays comme le nôtre, c’est un pari risqué. Si je n’ai pas écrit, à dessein, « très » risqué, cette stratégie va pourtant et malheureusement tourner à l’envers : notre production intérieure est minuscule, il n'y aura point d'exportation, mis à part dans le secteur minier et la pêche, mais seulement une importation… avec une monnaie dévaluée. Et, sansgarantie, l'augmentation des salaires engendrera probablement un déficit budgétaire dû à une augmentation des dépenses publiques.

Bref, il faut penser à d’autres solutions.Laisser la monnaie nationale tranquille, puisqu’une augmentation des salaires se traduira par une augmentation des importations au détriment de la production domestique. Les conséquences de ce phénomène seront néfastes : moins de nouveaux emplois, dévaluation de la monnaie et plus d’inflation. Quelle alternative, alors ?

John Maynard Keynes était en cette questionfort clair : lorsque l’État relance l’économie, les revenus augmentent et la consommation avec. Pour faire face à cette situation, les entreprises  augmentent, elles, leur production. Ce qui engendre de nouveaux emplois et donc une réduction du chômage. D’une part, la distribution des nouveaux gainsentraîne encore une croissance de la consommation. Et donc une amélioration du niveau de vie et du bien-être du peuple. D’autre part, la part du revenu non consommée, à savoir l’épargne, s’élève aussi, dégageant d’importants capitaux utiles à l’investissement. L’économie s’autofinance et l'État retourne alors à son rôle de régulateur, laissant le marché à la « main invisible » d'Adam Smith.

Si l’on suit attentivement Keynes, sa théorie donne une solution à une faiblesse ponctuelle de la croissance en présence de capacités de production inutilisées(!). Il ne suffit pas seulement d'accroître la demande en augmentant les salaires. Il faut aussi que l'offre intérieure soit potentiellement en mesure de répondre à une éventuelle croissance de la demande. Mais la Mauritanie ne dispose pas encore de ces capacités ;elle est fragile devant les aléas de la Nature notamment les pandémies et les pertes agricoles. Toute relance monétaire peut donc se révéler fatale.

Il nous faut une relance budgétaire. Elle stimulera la demande interne en augmentant les dépenses de l'État (constructions, investissements, etc.) ou les revenus disponibles des agents (baisse des impôts). On salue ici les efforts fournis dernièrement en ce sens. Grosso modo, l’État doit entreprendre, pour engendrer de nouveaux emplois et mettre en place un système capable de répondre à un éventuel marché plus gourmand. Il doit en suivant encourager les entreprises existantes à produire davantage, se multiplier et se diversifier. Faciliter l’accès au crédit, accompagner l'entreprise dans son processus de production de valeur, aider les jeunes diplômés à entreprendre, promouvoir la culture de l'entreprise familiale (agriculture familiale…), etc.

 

Habib Hamedi

Ingénieur d’Etat et chef de projet

أربعاء, 16/12/2020 - 14:40