La symphonie du campement

Cher Maître Ahmed Kelly,

Vous êtes le petit-fils d'Abdallah et le deuxième né de deux parents de la famille Cheikh Sidya. C'est ce que signifie le mot «Kelly» de votre nom composé. C'est ainsi que le premier enfant à ce titre s'appelait «Mohamed Ould Ehlou», et vous en êtes le deuxième.

Abdullah fils d’Al-Hassan Al-Muthanna était connu au Moyen Orient comme Abdullah Al-Mahd et au Maghreb comme Abdullah Al-Kamil. Il était le petit-fils de la famille du Prophète, de père comme de mère, que la paix soit sur eux. Parmi ses fils il y avait Muhammad al-Nafs al-Zakeya, Ibrahim, Idris, Moussa, Souleiman…

Avant de quitter le cercle des noms, des dénominations, des descriptions et des attributs, soulignons que la famille Cheikh Sidya a donné à ses fils les noms des prophètes : Ibrahim, Ismail, Yacoub, Souleiman, et j'en passe, à l'exception de deux seulement, que la bénédiction et la paix soient sur eux tous.

Cher Maītre Ahmed Kelly,

J'ai lu ce que vous avez écrit à propos de votre parcours et j'ai admiré de belles expressions, des sentiments doux et unefermeté sur des valeurs issue d’une éducation noble, malgré le mouvement de l'histoire et les soubresauts de la politique et de la société. Vous avez mentionnė cela comme un indice destemps, des souvenirs et du lien direct entre eux, sur le long et le court termes.

Cela ne m'a point surpris que les événements de votre si beau parcours se soient succédés ainsi, parce que j'avais vécu mon enfance à Boutilimit, me régalant des chants de vos sujets et écoutant tous types d'éloges, en poésie et en prose, à la gloire de votre famille si généreuse. Une famille qui fut réellement le précurseur chez les enfants de Boutilimit de cette envied'appréhender diverses sciences, d’acquérir des connaissances multiples, de suivre une spécialisation subtile et d’avoir une forte ambition politique, conduisant à gouverner laMauritanie. Une élite politique et culturelle de poids qui constitua, jusqu'à très récemment, le cœur battant de la Mauritanie et le moteur de la dynamique du pays.

Cette ambition boutilimittoise fut impulsée par le grand Cheikh Sidya, lequel avait cueilli la connaissance du savantHorma Ould Abdel Jalil, et les secrets spirituels du Saint Cheikh Sidi Mukhtar Al-Kunti, ses trivialités et ses successions, sans laisser passer l'occasion de puiser dans la sainteté d'un Saint comme Sellahi et de recevoir de sa bénédiction. Il prit alors sur lui la responsabilité d’unifier les efforts des musulmans en organisant le congrès de Tendowja en 1856, dans la perspective de combattre le pillage et de faire face aux campagnes de christianisation. L'un des poèmes les plus éloquents de cette époque ne fut-il pas l'œuvre de son unique et visionnaire fils, Sidna Ould Cheikh Sidya, :

"O défenseurs de la Religion, la Religion est devenue captive des voleurs et des chrétiens ! »

Et lorsque le flambeau fut porté par Cheikh Sidya Baba, celui-ci mena la bataille avec courage et sagesse. Pour préserver le sang, la dignité et les biens de la société musulmane, il conclut que ces avantages plus globaux ne pouvaient être obtenusqu'avec une protection française temporaire, qui ne s'opposait pas à la religion et ne permettait pas la prédication du christianisme dans les pays islamiques. Pour cela, il fit alliance avec l'État français pour répandre la paix et éliminer l'insécurité et le chaos.  Cette jurisprudence est la pierre angulaire de la construction de l'État mauritanien moderne et d'une ère coloniale dont les partisans la défendent encore, å tort ou å raison.

Au moment où l'affaire revint à Abdallah, après le décès de son frère aîné Mohamed - votre grand père paternel qui succéda à son père Baba -, il hissa la grandeur de l'État et le bâtit en préservant les relations dont il hérita avec les tribus et les émirs, renforçant les liens avec les gouverneurs à Saint-Louis, Dakar ou Paris, et certaines capitales africaines. Il pritsoin de l'identité arabo-islamique de la Mauritanie, et l '«Institut» de Boutilimit fut l'incarnation en 1956 du projet d'Abdallah de rivaliser avec Al-Azhar au Caire, l'Université de Zaytouna à Kairouan et l'Université d'al-Qarawiyyin à Fès.Quelle ambition plus élevée?  Quelle gloire scientifique plus grande en son temps?

Cher Maître Ahmed Kelly,

Vous fûtes donc élevé par Abdallah et fûtes aussi le fils gâté de Channa ; vous vécûtes à Saint-Louis et apprîtes à Paris.Vos connaissances en furent élargies, vos talents variés et vos sentiments adoucis.  Vous aimez la nature ; vous adorez l'eau ; le blatèrement des chameaux, le jappement des chacals, le beuglement des vaches, le béguètement des chèvres, le bêlement des agneaux, se mêlaient aux chansons des visiteurs de votre premier fief, pour chanter une symphonie récurrentedont les mélodies se firent plus fortes et devinrent plus intenses et belles, pour envahir les oreilles du campement et faire trembler ses confins dans la tempête de l'univers,soufflant des quatre coins du monde, s'estompant peu à peu, laissant un vide qui ne pouvait être comblé que par MouninaMint Eleya, Mohamed Abdel-Rahman Ould Ngdhey et Sidati Ould Abbe.

C'était là une partie fondamentale de la vie du campement, le point focal de votre parcours passionnant, où Chana avait l'habitude de rendre visite à la famille de Cheikh Ould Jiddou, et vous n'ėtiez visiblement pas loin d'elle dans ses visites

Vous avez également évoqué Cheikh Ould Ahmed Aicha, mon oncle par « allaitement ». Ma mère, que Dieu la couvre de sa miséricorde, aimait tant son frère et me rappelait souvent la sagesse et la pugnacité qui le caractérisaient, et dont vous lui aviez témoigné, que Dieu donne sa miséricorde auxprédécesseurs et bénisse les successeurs.

Vous avez aussi mentionné dans votre parcours le savant Muhammad Al-Mukhtar Ould Bah. Je suis lié à sa famille par des affinités amicales et spirituelles. Ma mère avait choisi pour moi le nom d'un des ténors de cette famille, Mohamed Lemine Ould Ahmed Ould Beddi, et elle m'appelait"Hameyin".

Cher Maître Ahmed Kelly,

Si je devais parler du texte que vous avez écrit sur votre parcours, je dirais qu'il est d'une toute spontanéité, d'une manière douce et belle, coulant comme l'eau d'une source inépuisable, chargé de bribes de pensée, de science, de culture, d'art, de philosophie et de droit. Le thème phare traité dans l'ouvrage est la dialectique éternelle entre la vie et l'esprit.

En un mot, c'est le fruit de la contemplation vécue par unauteur et de l'expérience personnelle de Maître Ahmed Kelly, induisant un impact profond sur l'esprit de son lecteur averti.

 

Mohamed Lemine Ould Dadde

Nouakchott, le 25 septembre 2020

 

جمعة, 25/09/2020 - 21:53