Affaire Aziz: Une souris à l’horizon

Les espoirs des Mauritaniens sont énormes de voir un terme à la corruption qui gangrène le pays depuis que les militaires ont pris les commandes, surtout depuis 1984. C’est en effet sous Ould Taya que cette pandémie du 20ème siècle s’est répandue chez nous, minant l’administration publique et le secteur privé. Sous Ould Taya, il était presque autorisé de détourner les biens publics, si l’objectif était d’investir chez soi. L’alphabétisation, la politique du Livre et leurs maisons poussèrent un nombre croissant de cadres à piller on ne peut plus « légalement » les deniers publics. Les dix dernières années sont simplement venues faire le sauter le bouchon. Elle était partout visible : immeubles, banques et voitures d’un luxe insolent émergeaient de partout. Et il n’était un secret pour personne que ces investissements ne pouvaient provenir que de biens illicitement acquis. La découverte récente du pétrole puis de l’or a décuplé la corruption et multiplié les chantiers.

Durant ladite décennie, quasiment personne, sinon l’opposition et une partie de la presse, n’osa fustiger la corruption et la gabegie, véritables chevaux de bataille du régime d’Ould Abdel Aziz que certains tentèrent même de transformer en roi, en tordant quelque verset du Saint Coran, d’autres jugeant qu’il était, lui, plus important que les ressources naturelles que Dieu avait données à notre pays.

Aujourd’hui, la commission d’enquête parlementaire (CEP) a transformé nombre d’hypocrites et de laudateurs d’hier en critiques acerbes du pouvoir d’Ould Abdel Aziz au banc des accusés depuis qu’il a quitté le pouvoir le 1er Août 2019. La honte ne tue pas en cette République islamique. Le gouvernement a assuré, par son Premier ministre, que la corruption serait combattue de toutes les forces et instaurée la transparence dans la passation des marchés publics. Il répondait aux révélations de notre confrère Al Akhbar selon lesquelles le gouvernement a passé, en quatre mois, cent treize marchés de gré-à-gré d’une valeur de vingt milliards d’ouguiyas et aux saillies de l’ex-Président accusant le pouvoir de son successeur de gabegie. Selon Ould Bilal, ces marchés concernaient la sécurité alimentaire, l’eau, la santé, l’équipement et le transport, en plus des contrats en faveur de la CAMEC et de la SOMELEC. Vous avez dit transparence, monsieur le Premier ministre ? On va vous prendre au mot.

 

Vendetta politique ?

Depuis sa garde-à-vue à la Direction de la police des crimes économiques pour répondre aux enquêteurs sur les accusations portées contre lui par tous ses ex-collaborateurs, Ould Abdel Aziz joue la victime d’une « vendetta politique », une formule qu’il a utilisée lors d’une récente interview à France 24. Après avoir invoqué l’article 93 de la Constitution  pour refuser de répondre aux questions des policiers, il dénonce une espèce de « complot » ourdi par le pouvoir contre lui et ses proches. « Deux poids et deux mesures ! », clame-t-il, affirmant que les autres suspects n’ont pas été traités comme lui, certains étant même autorisés à voyager à l’étranger.

Mais, sans parti pris pour ou contre le principal suspect lourdement chargé par le rapport de la CEP, force est de constater que sa ligne de défense peine à convaincre les Mauritaniens. Certains de ses propos, lors de ses conférences de presse, l’ont même desservi. Affirmer s’être constitué une grande fortune, n’avoir jamais touché à son salaire pendant ses onze ans de règne, défendre l’immense patrimoine matériel de la Fondation Rahma mise en place et présidée par ses enfants ont beaucoup heurté les gens. Mais la manière dont est conduite l’enquête par la Brigade des crimes et délits économiques commence aussi à interroger les Mauritaniens qui comprennent difficilement qu’après bientôt un mois d’investigations, aucun suspect n’a été inculpé, aucun scellé posé, excepté sur les biens de Rahma. Seules quelques personnalités citées dans le rapport de la CEP ont été placées sous contrôle judiciaire, et continuent à « se la couler douce », comme le dit à juste titre Ould Abdel Aziz. À peine quelques comptes bancaires gelés…

Devant ce malaise croissant, le Premier ministre Ould Bilal a affirmé devant le Parlement que « tous ceux impliqués dans le dossier de la CEP ne bénéficieront d’aucune indulgence du gouvernement et seront tous déchargés de leur fonction ». On attend de voir… Même si le gouvernement s’est attaché les services d’une soixantaine d’avocats pour recouvrer les biens dont la Nation a été délestée, a constitué une commission pour recenser ceux de l’ex-Président et de ses proches, il n’en reste pas moins qu’en se focalisant presque uniquement sur celui-ci, le pouvoir donne bel et bien l’impression d’un « règlement de comptes », renforçant ainsi la thèse de la défense d’Ould Abdel Aziz et de ses proches dont certains n’ont pas manqué d’alimenter le dossier d’une « dose tribale » qui peine cependant à prospérer. Heureusement d’ailleurs, la Mauritanie n’en a pas besoin.

Autre interrogation des citoyens, comment traquer efficacement les biens mal acquis de l’ex-Président ? Il n’est un secret pour personne que, désormais chevronnés en détournement de biens publics, les responsables mauritaniens évitent de donner traçabilité à leurs biens, souvent mis au nom de leurs proches. On sait aussi que nul ne garde son argent en banque, on le trouve dans les agences de transfert et autres… Bref, un véritable casse-tête pour la commission chargée de traquer ces biens. C’est d’ailleurs pourquoi la Mauritanie est soumise à une troisième validation dans le processus ITIE… Elle doit apporter devant le Secrétariat international à Oslo des mesures correctives, « au plus tard fin Août 2020 », indiquait à ce sujet monsieur Ba Aliou Coulibaly, coordinateur national de « Publiez ce que vous payez » (PCVP) en Mauritanie Et parmi ces mesures correctives, notamment « la publication des données sur les propriétaires, réels ou bénéficiaires effectifs », soulignait cet acteur de la Société civile.

Dernière question, le processus de fondation et validation de la Haute Cour de Justice (HCJ). Beaucoup pensaient que l’Assemblée nationale allait profiter de sa dernière session, consacrée à la déclaration de politique générale du Premier ministre, pour installer ce tribunal. Mais, selon des sources concordantes, le Conseil Constitutionnel n’a même toujours pas donné son quitus au président de la République pour promulguer la loi fondant ladite Cour... En somme, c’est toujours en coulisses que se négocie l’accouchement tant attendu et l’on n’ose se prononcer sur la nature du bébé…

Dalay Lam

 

جمعة, 18/09/2020 - 00:28