Contrat de concession duterminal à conteneurs du PANPA : Irrégularités à la pelle

Le contrat de concession du terminal à conteneurs du Port Autonome deNouakchott, dit Port de l’Amitié (PANPA), a fait couler des torrents d’encre et de salive, les ultimes mois de la décennie de règne de Mohamed ould Abdel Aziz. C’est un des plus « chauds » dossiers sur lesquels a porté le travail de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) dontle rapport, de plusieurs centaines de pages, transmis à la justice le5 Août dernier, domine les causeries de salon et le débatpolitico-judiciaire.

Un document dont le traitement par la justice se trouve au staded’une enquête préliminaire conduite par les limiers de la policechargée de la répression des infractions à caractère économique etfinancier.Une étape qui a valu à l’ex-président de la République une garde à vue d’une semaine,entrele 17 etle 24 Août, levée après l’expiration des délais prévus par la loi anticorruptionde 2016. Pour l’affaire de la concession du terminal à conteneurs, les éléments contenus dans le rapport des députés,combinés à un examen approfondi des différentes pièces, révèlent augrand jour de nombreuses violations des dispositions de la loi de2017, relative aux contrats de Partenariat Public/Privé (PPP).

Une forêt d’irrégularités en dépit de laquelle les recommandationsformulées de la CEP « sontambigües et contradictoires. Car elles semblent privilégierl’amendement du contrat de concession plutôt  que sa résiliationqu’elles trouvent trop contraignante pour l’État »,commente le DirecteurGénéral (DG) du PANPA,Sid’AhmedouldRaiss, dans un courrieradressé au Ministre de l’Équipement et des transports,département de tutelle de cette grande entreprise publique. Mais, pour le DG du port, le caractère contraignant des risquesliées à une option de rupture exprimé par la CEP relève « d’uneassertion qui ne repose ni sur une appréciation juridique exacte niune évaluation chiffrée du volume des travaux déjà engagés, encoremoins sur le niveau des financements et leurs conditions de mobilisation ».

Le fait de laisser des zones d’ombre sur des aspects aussidéterminants dans les éléments d’appréciation du contrat « pourraitfragiliser la partie mauritanienne », alors que la mesure exacte etobjective de tous les paramètres d’évaluation liés au contrat permetde mettre en évidence les termes d’un « contrat léonin » dont lespremiers indices de mise en œuvre ne laissent aucun doute sur lesprémisses d’une véritable catastrophe économique et commercial, unénorme manque à gagner pour un outil de souveraineté.

 

Loi sur les PPP taillée en pièces

Plaidant pour une résiliation pure et simple, à travers une positionnettement plus  tranchée que les recommandations des députéstenaillées par la peur des éventuels risques juridiques d’unerupture, la  correspondance du DG insiste « sur les conditionsdouteuses qui ont entouré l’attribution de la concession et laviolation substantielle des dispositions de la loi 2017.06, relative aux contrats PPP, qui relèvent del’ordre public.S’il est vrai que toute démarche contentieuse, toute dénonciationunilatérale d’un contrat n’est pas totalement dénuée de risques,l’ampleur des manquements à la loi est néanmoins telle que lesvulnérabilités apparaissent plus du côté d’ARISE que de celui de lapartie mauritanienne ».

Car « de nombreuses irrégularités ont entaché le contrat deconcession. Sa confrontation aux dispositions de la loi 2017-06relative aux PPP fait ressortir demultiples anomalies », relève le DG du port.Parmi ces graves entorses, la correspondance met à nu« la violationdes règles substantielles relatives au démarrage des travaux, dont les prérequis n’ont pas été respectés. Il s’agit notamment del’impératif de l’approbation préalable de l’Avant-Projet Détaillé(APD) de tout ouvrage dont l’amortissement dépasse cinq ans, tel quecela ressort de l’article6.9.1 du contrat.L’APD qui permet une estimation du coût des travaux n’a pas été fournie.Ses études, ses plans détaillés d’exécution et ses calculs n’ontjamais été soumis à l’autorité contractante.Cette étape cruciale a été ignorée. Dès lors, comment déterminer avecexactitude le coût de l’ensemble des composantes du projet ? Commentsavoir que les options techniques retenues sont celles qu’il faut ?Aucune autorité mauritanienne à quelque niveau que ce soit, n’a été associée à un exercice de ce type. Et les coûts de l’ouvrage et des équipements demeurent ignorés ».

Par ailleurs, poursuit la correspondance adressée au Ministre de l’Équipement et des transports,« la concession a été signée enviolation des dispositions du décret 87.253 qui confie la gestion dudomaine portuaire et maritime au PANPA.Le terminal se situe dans l’enceinte du port, donc à l’intérieur dudomaine portuaire. Il y a lieu de s’interroger sur les raisons de sonéviction de l’élaboration et de la signature d’une convention qui leconcerne au premier titre et sur les conséquences juridiques d’uneviolation expresse de ces dispositions réglementaires.En outre, les emprises foncières couvrent le terre-plein historique duPANPA qui figure dans ses actifs et dont la concession aurait dûfaire l’objet d’une procédure spécifique.La zone dont le PANPA a été dépouillé couvre deux hangars de 6400 mètrescarrés et un terre-plein bitumé et aménagé, qui rapporte près de 110 millions MRO par an.Les règles de cession des actifs d’un Établissement Public à CaractèreIndustriel et Commercial (EPIC) disposant d’une autonomie financièreet de la personnalité morale n’ont pas été respectées en cettecirconstance ».

 

Opacité des conditions financières

Une des dimensions du contrat avec ARISE, qui cristallisel’opposition de l’administration actuelle du port de Nouakchott, porteaussi  sur la nébuleuse qui enveloppe les  conditions de  financement« qui n’ont pas été portées à la connaissance de la partiemauritanienne. ARISE a indiqué de façon très lapidaire que le montantglobal de l’investissement s’élève à 390 millions de dollars US, dont40 % de fonds propres et 60 % à mobiliser grâce à des emprunts.Le montant de l’investissement n’a jamais l’objet d’une validation parla partie mauritanienne.Les détails de souscription et de libération du capital, les détailset les conditions des accords de financement demeurent inconnus,contrairement aux règles en la matière.La partie mauritanienne ignore les coûts des emprunts et leurs conditions ».

Cela alors que toutes ces informations devaient être portées à saconnaissance avant le démarrage des travaux « avec les preuves delibération du capital, les comptes courants associés le cas échéant,les accords de prêts et les preuves de mise à disposition des fonds ».

 

Investissement surestimé et exorbitants tarifs desprestations 

La correspondance du DG du port de Nouakchott à latutelle réfute également la thèse d’un investissement de 390millions de dollars, soutenant que celui-ci « est surestimé de plusde cent millions de dollars US. En partant des  mêmes bases que l’étudeEGIS Internationale de 2012 (mission d’études et de supervision et detravaux), tenant compte de l’augmentation du volume de dragage de3000 mètres cubes, ainsi que l’introduction de nouveaux équipements demanutention (RTG) et de l’augmentation des équipements à quai,l’estimation la plus large de l’investissement fait ressortir unmontant de près de 288 millions de dollars ».

Il faut également ajouter, à ces facteurs déséquilibrant le contrat aupréjudice de la partie mauritanienne, « des incidences financièreslargement négatives sur le chiffre d’affaires du PANPA et desopérateurs privés, si l’on se fonde sur un taux de croissance du trafic de 5 %, telqu’il ressort de l’annexe 4 de la convention, ou de l’hypothèse d’uneévolution de 7,78 %, sur la base des données statistiques du port pourl’année 2019.L’infrastructure supportera une baisse du chiffred’affaires, qui va passer de 1,2 milliards de dollars à  2 milliardsde dollars US sur la durée du contrat ».

Il s’ajoute à cela le problème de l’article 28 de la convention, qui réserve à l’opérateur le pouvoir de fixer les tarifs. Ainsi les prixproposés vont du simple au double. « Ils sont trop élevés etillégaux ».Illustration : actuellement, « pour un conteneur de 20 pieds, on paye240 dollars, soit 9000 MRU. Mais ARISE propose un prix qui varieentre 425 et 475 dollars, soit entre 16.000 et 17.800 MRU.Pour un  conteneur de 40 pieds, on débourse en ce moment 376 dollars US, soit 14.100 MRU, alors que le nouvel opérateur fixe ses services àun niveau variant entre 575 dollars  et 650 dollars us, soit entre21.600 et 25.300 MRU », précise le document.

Le constat de l’administration est que, dans le contexte actuel, « ARISEmanœuvre en vue de maintenir le statuquo de la convention », dans l’objectifd’obtenir le redémarrage des travaux arrêtés dans la foulée de lapandémie du coronavirus.La correspondance recommande, en première option, « une résiliation à l’amiable.Si pour une raison, ou une autre, celle-ci ne peut être obtenue, lapartie mauritanienne dispose de solides arguments pour une dénoncerunilatéralement une convention hautement léonine ».Les conclusions de la CEP n’ontpas de caractère contraignant pour le gouvernement, du point de vue du Droit, mais « peuvent orienter son action dans le cas où elles seraient jugéespertinentes ». Et l’on rappellera, enfin, que les contrats de Partenariat Public/Privé (PPP) représentent un moded’investissement à travers lequel une autorité publique fait appel àdes prestataires privés pour financer et gérer un équipement assurant ou contribuant au service public. Le contrat avec Arise semble tout de même assez loin, c’est un euphémisme, d’une telle contribution au bien de la Nation…

Ben Abdallah

ثلاثاء, 08/09/2020 - 14:15