Aziz, Dos Santos, Bokassa et la commission d’enquête : Quelle équation

En réponse à une question posée par un de nos confrères sur l’origine de sa fortune colossale, l’ex-Président Mohamed Ould Abdel Aziz répondit calmement et de manière qu’il pensait convaincante : « C’est vrai, je suis riche. Et je continuerai à accumuler de l’argent. Mais aucun sou de ma fortune ne provient des caisses du Trésor ou de la Banque Centrale ». Dans un clip des Oulad Leblad, un groupe de rappeurs mauritaniens en exil, on entend en insert et en out ledit Président énoncer que « nous ne pouvons pas laisser piller les ressources du pays par deux, trois ou quatre individus et dire : c’est du passé ; Ava Allahou an’ maa seleve et laisser passer sans réagir ». Enfin et en réponse à une autre question relative, elle, à l’enquête sur sa gestion de dix années de pouvoir, il déclarait, très sûr de lui : « Qu’ils l’ouvrent vite, cette enquête, et qu’on en finisse. Ils verront qu’ils n’y ont aucun intérêt […] ».

Trois éléments en sens divers qui expliquent peut-être la complexité des voies empruntées par les enquêteurs de l’Assemblée nationale pour neutraliser l’homme qui a présidé aux destinées de la Mauritanie pendant onze ans, imposant une dictature politique, économique et financière sans précédent dans l’histoire de notre pays.

 

Election truquée

Tout commence dans la légalité constitutionnelle le 19 Juillet 2009. Le général Mohamed ould Abdel Aziz, qui a démissionné de l’armée le jeudi 16 Avril 2009, remporte l’élection présidentielle avec 52,58 % des voix, ce qui lui permettra d’achever le travail entamé avec sa prise de pouvoir le 6 Août 2008, écartant de manière inattendue et surprenante Sidi ould Cheikh Abdallahi démocratiquement élu. La victoire d’Ould Abdel Aziz fut la combinaison d’une élection entachée d’irrégularités et d’un captivant discours de campagne martelant qu’il n’était plus possible de laisser perpétuer la gabegie et le détournement des deniers publics par un groupe d’individus inamovibles. Celui qui avait enflammé l’opinion par ses discours révolutionnaires à l’américaine, redonnant confiance à des milliers de familles d’El Marbat, revint donc aux affaires à la faveur d’une élection truquée, avec la bénédiction d’un puissant homme politique, Sidi Mohamed ould Maham.

Une décennie de gestion catastrophique, tant sur le plan politique qu’économique, financier et social, révéla au grand jour le vrai visage de l’homme que tout avait pourtant semblé prédestiner à devenir un grand chef d’État : celui d’un manipulateur d’une gigantesque « machine à sous » cliquetant en fond sonore d’un pillage systématique des ressources du pays à son propre profit par personnes interposées, responsables agréés ou investis de pouvoirs pour les besoins de sa cause.

Il quitte le pouvoir le 1er Août 2019, léguant à son successeur des problèmes multidimensionnels inextricables qui pèsent lourd dans la balance de l’économie, de la politique et du social. C’est le premier président de la Mauritanie à laisser partout derrière lui des indices de culpabilité. Ce qu’en retiendra surtout l’Histoire ? L’image d’un chef d’État qui prostitua toutes les valeurs morales et religieuses d’un pays, en le plongeant de force dans un cloaque de corruption,  gabegie et irresponsabilité.

Abraham Lincoln, le seizième président des États-Unis et premier président républicain (1861-1865) a laissé pour sa part en héritage notamment cette célèbre sentence : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ». Ce président qui abolit l’esclavage en ce grand pays de champs de blé et de maïs mourut assassiné mais sa citation historique vit toujours : en sa signification profonde, cette sagesse n’a cessé et ne cesse de mettre en garde ceux qui croient pouvoir tromper tout le peuple tout le temps.

Depuis que Mohamed ould Abdel Aziz a quitté le Palais, chaque jour que le bon Dieu fait nous apprend un peu plus, par recoupement de déclarations de ceux qui lui étaient très proches et intimes, sur cet homme qui ne vint pas du tout au pouvoir pour mettre fin à la gabegie, au pillage des ressources nationales encore moins asseoir une démocratie véritable mais pour développer, par la dictature, un fonds de commerce dont le palais présidentiel servait de siège social. Il ne prit le pouvoir que pour s’enrichir, en adaptant la gabegie, le pillage et les détournements à des mécanismes taillés à sa mesure, très mal rodés, très mal montés, sans pièces de rechange. Il n’a peut-être pas pris un sou au Trésor ou à la Banque Centrale mais toutes les déclarations des témoins devant la commission d’enquête parlementaire convergent à prouver qu’il n’a jamais refusé de prendre les sous qui transitaient par des circuits intégrés de mafieux, véritables tueurs à gages de l’économie nationale.

 

Deux erreurs fatales

Il put tromper quelque temps tout le peuple, tout au début, en faisant accroire qu’il allait remplir les prisons des voleurs et détourneurs hérités des pouvoirs de Maaouiya, Ely ould Mohamed Vall et Sidi ould Cheikh Abdallahi. Avant d’ajuster le fauteuil présidentiel à son gabarit multifonctionnel et d’orienter le régime sur des transactions commerciales internationales douteuses, réussissant à tromper également une partie du peuple une autre bonne partie du temps.

Mais comme l’avait énoncé Abraham Lincoln, on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. C’est pourquoi fit-il croire – jusqu’à la dernière minute, histoire de tromper ceux qui pouvaient l’être encore - qu’il allait juste se reposer quelque temps à l’étranger avant de revenir prendre les affaires en main. Mais, malheureusement pour lui, ne sont tombés dans ce piège – le dernier de la série – que deux attardés politiques : Boydiel (..) et Seyidna Ali, 

De mon avis, Mohamed ould Abdel Aziz a commis deux grossières et fatales erreurs qui vont certainement lui coûter – ou, à la limite, à ceux qui lui sont proches – tôt ou tard extrêmement cher. La première est de ne s’être pas inspiré de la sagesse de celui qui l’éleva, l’éduqua et fit de lui ce qu’il est devenu : Ely ould Mohamed Vall. Celui-ci, rappelons-le, renversa à la tête de l'armée le régime de Maaouiya ould Taya le 3 Août 2005 ; assura, de 2005 à 2007, une transition démocratique ; organisa,  comme il l’avait promis, un référendum pour réviser la Constitution et prépara une élection à laquelle il  refusa de prendre part. Une Commission électorale nationale indépendante (CENI) fut fondée sous son régime pour superviser un processus électoral qui s’acheva en Mars 2007 par l'élection d’un nouveau président de la République. Ely ould Mohamed Vall surprit ainsi l’opinion nationale et internationale ainsi que tous les diplomates du Monde en portant ces acquis à son actif.

Mais il avait surtout posé les fondements d’une véritable démocratie, en assainissant les structures de l’État et en permettant  à la Mauritanie de retrouver la confiance des institutions internationales. Ce succès politique lui offrit un prestige international qui redora le blason national. Entré dans la légende par la petite porte en renversant un régime (pseudo-)démocratique, ce militaire qui avait, vingt ans durant, donné du pays une image négative, en sa qualité de responsable des renseignements généraux d’un chef d’État vissé à son fauteuil (Maaouiya), en est sorti par la grande porte, en rendant le pouvoir aux civils comme il l’avait promis. Cette distinction fit de lui un membre respecté du comité d'honneur et d’éthique  de la Fondation Chirac, lancée en 2008 pour agir en faveur de la paix dans le Monde. Quant à la seconde erreur d’Ould Abdel Aziz, c’est de n’avoir jamais lu la biographie d’Abraham Lincoln, cette icône de la liberté, de l’égalité, de la justice et de la démocratie.

Aujourd’hui Aziz – « cher » en hassaniya – est un homme traqué. Dans le collimateur d’une commission d’enquête persuadée qu’elle ne pourra rien contre cet homme qui a pourtant tout détourné sans le détourner par preuves matérielles irréfutables. Pourquoi et comment ? Simplement parce qu’Ould Abdel Aziz était un peu comme le propriétaire d’une épicerie confiant la gestion de la vente de ses marchandises à des employés chargés d’amasser l’argent pour lui.

J’ai bien peur donc que tout ce boucan autour des compétences de la commission d’enquête et la probable audition de l’ex-chef de l’État  ne soit en fait et en définitive destiné qu’à briser le mythe d’un homme qui n’a tiré aucune leçon de ce qui arriva à d’autre ex-présidents comme Bokassa que certains élevèrent au rang d’empereur avant de le laisser mourir de faim et de maladie à Bangui, à seulement à quelque mètres du palais qui l’avait doté d’une puissance inégalée. Il n’a pas tiré non plus de leçons de l’angolais Do Santos qui quitta le pouvoir en le confiant à un proche. Mais au fur et à mesure que le temps passa, il dut reconnaître qu’il avait placé dans la ligne de mire de son successeur sa femme, ses enfants et ses proches touchés de plein fouet par des enquêtes d’enrichissement illicite après le sommet de leur gloire.

Aziz ne finira pas comme Bokassa. Il l’a dit lui-même : il est très riche et le restera. C’est surtout vrai parce que cette richesse est sécurisée par des prête-noms qui se sont fondus dans le nouveau « bon camp ». Mais il finira peut-être un peu comme Do Santos : invulnérable au regard de la Constitution de son pays, mais sans avoir prévu le moindre système de protection efficace pour sa femme, sa fille et ses enfants qui tombent un-à-un sous le coup de la loi de la lutte contre la corruption et les biens mal acquis.

La prison que fit construire l’homme fort de Nouakchott au fin fond de la wilaya du Tiris Zemmour, j’ai bien peur de penser qu’elle ne soit occupée, avant la fin de l’année, par des détenus auxquels elle n’était pas destinée. Des éléments de cette nouvelle génération d’hommes et de femmes d’affaires et d’intermédiaires maintenant à bout portant des conclusions d’une commission dont le missile expérimental de longue portée ne devrait pas exploser en vol, comme un missile coréen fabriqué dans la précipitation, avant d’atteindre son objectif.

Mohamed Chighali

Journaliste indépendant

le Calame

أحد, 03/05/2020 - 00:35