Le discours anti-français au Sahel (analyse)

Le Sahel, en Afrique de l’ouest, témoigne d’actes terroristes sans précédents depuis un an. Selon les rapports de l’ONU, 4.000 personnes ont été tuées suite aux actes terroristes au Niger, au Burkina Faso et au Mali, contre 770 en 2016, et des milliers de personnes ont été déplacées. Les pertes militaires dans ces trois pays ont atteint des pics ces derniers mois. 49 soldats maliens sont morts dans l’attaque terroriste survenue le 1er novembre à Indelimane et 71 autres à Inates le 17 décembre.

La semaine dernière, plus de 80 soldats nigériens ont été tués dans l’attaque terroriste à Chinagoder. Le déroulement de ces attentats dans la même région est considéré comme une conséquence de l’insuffisance de la capacité des pays régionaux et des mauvaises politiques. Cette situation renforce également l’avis selon lequel les soldats étrangers présents dans la région sont insuffisants et inopérants. Or, plus de 10.000 soldats de la force de maintien de la paix de l’ONU sont déployés dans le nord du Mali, l’épicentre des actes des organisations terroristes. La France, qui a fondé une base militaire au Niger, au Mali et au Tchad, mène depuis 2013 des opérations militaires dans la région sous le nom de « lutte contre le terrorisme ».

La France a amorcé l’opération Serval dans le nord du Mali en 2013 et élargi sa présence dans la région en lançant en 2014 l’opération Barkhane qui englobe l’ensemble du Sahel. Par ailleurs, la France a été pionnière dans la création en 2014 de la Force conjointe du G5 Sahel réunissant le Tchad, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Mauritanie. Avec ces démarches, la France a dépassé ECOWAS et l’Union africaine, qui devraient jouer un rôle dans la résolution de ces problèmes de sécurité dans la région. La France a endossé une responsabilité importante en devenant plus visible dans la région. Néanmoins, les bases militaires de la France ont été considérées comme étant inutiles en raison de l’augmentation des problèmes sécuritaires parallèle au renforcement de la présence militaire française dans la région. Il y a également la perception selon laquelle la France joue un rôle dans l’échec des politiques sécuritaires des gouvernements de la région.

 

Le problème de légitimité de la France dans la région

Le passé colonial de la France soulève des interrogations quant à la légitimité de sa présence dans la région. L’hostilité à l’égard de la France a augmenté notamment en raison de sa coopération avec les régimes dictatoriaux qui ont un problème de légitimité. D’un point de vue général, les raisons de la hausse de cette pensée hostile à la France dans la région, peuvent être divisées en quatre catégories. La première, est la réaction et le manque de confiance à l’égard de la France en raison de son passé colonial. La diffusion d’une opinion anti-française parmi les locaux est une conséquence naturelle des massacres commis par la France durant son occupation et des politiques coloniales appliquées par la suite. La deuxième catégorie, est le fait que la France, qui a maintenu son influence dans la région sur le plan politique, culturel et économique avec la continuation du néocolonialisme qui a suivi l’indépendance, a porté au pouvoir l’homme de son choix malgré le peuple, avec sa politique africaine dite « France-Afrique ». Cette situation a naturellement provoqué la réaction du peuple à l’égard de la France. La troisième catégorie est la perception par le peuple de la France comme l’origine même des problèmes, car le Sahel est une des régions les plus pauvres du monde. Les zones colonisées par la France sont généralement moins développées que celles colonisées par d’autres puissances coloniales, ce qui laisse à penser que la France a une responsabilité importante dans la situation actuelle. La quatrième catégorie est le débat concernant le Franc CFA utilisé par les pays du Sahel, ce qui a permis d’éveiller le peuple et de porter constamment à l’actualité la politique française. Cela a engendré le débat et l’interrogation au sujet de la politique française pour le Sahel.

 

Le discours anti-français au Sahel

Le peuple qui a protesté contre les politiques gouvernementales en raison de la montée des actes terroristes au Sahel, exige la fermeture des bases militaires étrangères présentes dans leur pays en raison de leur inefficacité. Les discours contre la France, qui est présente militairement dans la région, apparait au premier plan des manifestations. Le peuple descendu dans les rues au Niger et au Mali pour manifester, a brûlé le drapeau français et scandé des slogans anti-français. Le discours anti-français se répand également rapidement sur les réseaux sociaux. Le discours anti-français sous-entend une critique sévère de la politique africaine de la France et de son influence dans la région. La principale raison de la montée de ce sentiment anti-français, est l’inefficacité de la lutte contre le terrorisme menée par les pays régionaux avec le soutien de la France. Malgré les efforts des pays du Sahel, les actes terroristes augmentent toujours. L’émergence de problèmes ethniques en plus de la monté des violences terroristes au Mali, consument l’espoir du peuple. Face à la situation, le peuple estime que les gouvernements actuels sont inefficaces et que les forces étrangères qui coopèrent avec, sont responsables de cet échec. Par ailleurs, le peuple n’est pas suffisamment informé de la lutte antiterroriste menée par l’Etat et des attaques terroristes ce qui ouvre la voie à la circulation de toute sorte d’informations. Celles qui circulent notamment sur les réseaux sociaux peuvent former une mauvaise perception.

 

En fin de compte, la légitimité des réactions contre la France au Sahel engendrent un amoindrissement de la part de responsabilité des Etats de la région. En raison de cette situation, les politiques inefficaces des dirigeants sont moins critiquées. Même s’ils sont sous la pression de la France, les dirigeants se doivent de rendre des comptes au peuple qui les choisit. Par conséquent, pour changer la réaction à l’égard de la France, un résultat peut être obtenu en faisant pression aux dirigeants.

La France exprime sur différentes plateformes le dérangement suscité par la montée du discours anti-français au Sahel. Or, le président français Emmanuel Macron a convié les pays membres du G5 Sahel à une réunion pour évaluer la situation, rejetant les accusations contre la France dont la légitimité de la présence militaire dans la région est remise en question et dont l’image est de plus en plus négative. La France a réuni les chefs d’Etat des pays membres du G5 Sahel à Pau le 13 janvier pour discuter du problème de légitimité et améliorer son image auprès de l’opinion publique africaine et internationale. La déclaration conjointe publiée en fin de réunion précise que les pays membres soutiennent le maintien des opérations militaires de la France. Par ailleurs, Macron a tenu les pays étrangers pour responsables de la montée du discours anti-français au Sahel. Les pays de la région ont choisi, lors de cette réunion, de poursuivre leur coopération avec la France en s’opposant au peuple qui exige la fin de la présence militaire de la France. La lutte contre le terrorisme au Sahel peut donner des résultats en renforçant l’armée des pays et pas en coopérant avec la France. Si un investissement était réalisé aux armées des pays régionaux avec le budget des opérations menées par la France dans la région, le résultat serait plus positif. Par ailleurs, le discours anti-français qui dérange la France peut changer en obtenant des résultats encourageants sur le terrain. Dans le cas contraire, plus les groupes terroristes gagneront du terrain et plus le discours anti-français se renforcera dans la région.

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سبت, 18/01/2020 - 16:13